24 Avril 2008 – Hommage à Michel Saint-Denis au Théâtre des Bouffes du Nord

Monod, Marrey, Cousseau

Hommage à Michel Saint-Denis au Théâtre des Bouffes du Nord, et lecture de Deux jours avec Churchill, par Roland Monod et Thomas Cousseau.

Le 24 avril 2008, un hommage est rendu à Michel Saint Denis, avec Robert Abirached et Baptiste-Marrey , et une lecture par Roland Monod et Thomas Cousseau de Deux Jours avec Churchill, Londres, 1940. Cet hommage a lieu dans le prestigieux théâtre des Bouffes du Nord dirigé par Micheline Rozan et Peter Brook, un ami de Michel Saint-Denis avec lequel, en 1961, il avait rejoint Peter Hall, pour diriger la toute nouvelle  Royal Shakespeare Company.

Quelques mots de Peter Brook à propos de Michel Saint-Denis (pdf)

Photographies de Olivier Renoncé
 

Texte de Robert Abirached

Si Baptiste-Marrey m’a demandé de l’accompagner dans cet hommage qui va être rendu à Michel Saint-Denis, dans ce théâtre ressuscité par Peter Brook, qui fut naguère un de ses compagnons, c’est peut-être parce qu’il m’a vu vraiment transporté par la lecture du texte où Saint-Denis, alias Jacques Duquesne, rapporte sa rencontre avec Churchill en plein blitz, dans Londres sans relâche bombardée, en vue de mettre au point l’adresse que le premier ministre désirait envoyer aux Français.
Thomas Cousseau

Je veux simplement vous faire part de deux ou trois choses qui m’ont particulièrement frappé dans cette scène extraordinaire que vont lire devant vous tout à l’heure Roland Monod et Thomas Cousseau. C’est d’abord le courage, d’autant plus valeureux qu’il est gardé, envers et contre tout, sans calcul ni raison,  par quelqu’un qui se trouve dans une situation ultra-minoritaire,  presque seul à se battre, comme Churchill dans son sous-sol, au milieu de sa ville incendiée, face à l’Europe vaincue et tentée de se complaire dans l’idée qu’elle est punie pour expier ses erreurs, comme si elle était fascinée par son propre malheur.

En second lieu, c’est, au delà de la résistance opposée aux choses, l’esprit de conquête ici affirmé, l’appétit du monde, la foi dans l’action entreprise, le calme maintenu jusque dans les petits détails de la vie, comme les rituels de politesse observés pour le plaisir, comme s’il s’agissait d’opposer un savoir-vivre à la crainte de mourir.  Voici les repas soigneusement choisis, les cigares,  le cognac à son heure et le whisky à la sienne, la sieste respectée et, du début à la fin, les attentions multipliées à l’égard de l’hôte qu’on a invité. Un raffinement sans une once d’esbroufe. Une courtoisie tranquille là où la barbarie s’en donne à coeur joie.
Roland Monod

Et enfin, toujours à l’affût, la conscience de soi et de l’oeuvre à accomplir, le souci d’établir ou de rétablir des solidarités, de con- forter des amitiés lézardées, en vue d’une mission commune à accomplir. . Ce qui exclut toute complaisance et toute boursouflure de l’ego, tout en autorisant une distance à garder sous l’abri de l’humour et au risque d’une certaine goguenardise.

Ce récit, je vous confesserai que je l’ai spontanément rapporté à la situation d’aujourd’hui, où l’on fait de moins en moins de cas des valeurs immatérielles qui font le sel et la grâce de la vie, ce qui touche de plein fouet l’art et le théâtre, comme s’il s’agissait, par touches successives, d’en réduire l’influence et le champ d’action, en faisant mine de gérer l’acquis et en soumettant tout à un arasement progressif et qui se pare des plumes du progrès.

Comme si l’histoire entamée par le théâtre public il y a une soixantaine d’années s’approchait de sa conclusion. Comme s’il fallait la liquider pour entrer dans la modernité. Comme s’il fallait soumettre à un constant audit le théâtre, la danse ou la musique, qui sont si ridiculesen matière d’argent face aux exploits de la banque, de l’industrie et des prêteurs sans gages. Churchill ne fait pas la guerre en se contentant de veiller à ses colossaux besoins matériels. Il n’oublie jamais pourquoi et pour qui il se bat. Il n ‘est rien sans l’oeuvre qu’il doit accompplir, avec une audace et une imagination nourries par des siècles de civilisation, qui se déclinent en art, en théâtre et en oeuvres de l’esprit, autant et bien plus qu’en faits d’armes et en exploits de finance.

Si j’étais entraîneur d’un sport collectif, c’est le discours de Churchill que je lirais à mes joueurs au moment d’entrer dans la mêlée.  C’est ce discours que je demanderais à chacun de méditer dans le monde de l’éducation. Et c’est ce refus de la défaiteque j’aimerais voir se répandre au moment où nous avons besoin de garder les yeux ouverts, sans pactiser avec la tristesse qui guette et les tentations du découragement.

Robert Abirached