31 Mars 2008 – Hommage Gignoux au Théâtre du Vieux Colombier

Hommage à Hubert Gignoux : Séance de travail au Théâtre du Vieux Colombier.

Louis Cousseau présente ainsi la soirée dans la salle de théâtre du Vieux Colombier  : « … Hubert Gignoux est décédé le 26 février 2008, nous allons lui rendre hommage le 31 mars, un lundi, jour de relâche. Des éloges n’auraient convenu ni à l’homme, ni au lieu, je me suis employé à proposer un thème à chacun des intervenants que je croyais savoir au plus près des réflexions d’Hubert Gignoux… Voici comment cela s’est passé … [pour]… André Pomarat, élève du groupe I, image de la continuité Clavé/Saint-Denis/ Gignoux, image de l’attachement à l’Ecole, à la troupe, à la région. »

 


Hommage à Hubert Gignoux – André Pommarat

Je suis heureux et touché que cet hommage à Hubert Gignoux lui soit rendu sur cette scène mythique et dans ce théâtre emblématique qu’est le Vieux-Colombier; ce lieu où il a vu se brasser et se confronter tant d’idées et de réalisations nouvelles, nourrir tant de filiations dont beaucoup peuvent être fiers de se réclamer.
J’emprunte à Chancerel, le premier patron d’Hubert cette citation: « C’est le seul théâtre à Paris où l’on puisse amener son âme, sans qu’elle ait honte d’être là », et celle du philosophe Alain: « Je ne vais jamais au théâtre, j’attends la réouverture du Vieux-Colombier. »

Je voudrais associer à cet hommage Michel Saint-Denis, et l’on sait toute la place et l’importance qu’il a prises dans cette maison et plus tard dans la nôtre à la Comédie de l’Est.

Saluer aussi la mémoire d’une équipe de mousquetaires (nous, on les appelait ainsi) qui nous ont quittés et qui formaient en grande partie l’ossature de la troupe permanente, la garde rapprochée d’Hubert: Jean Schmitt, Jacques Born, Paul Bru, Claude Petitpierre, Pierre Lefèvre, je pense aussi à Jeanne Girard.

D’où je viens et quel cheminement et pour quelles rencontres.

Je suis né en 1930, Lorrain, mais Lorrain de Moselle, dans un village près de Metz. Mes origines messines seront déterminantes.
En 1940, pour ma famille, troisième annexion. Nous ne sommes plus en territoire occupé mais un Lander revenu à la mère patrie.

Jugés « inassimilables », expulsion en France Libre, cinq années à Castre dans le Tarn. Retour en juillet 1945, maison natale détruite, mes parents s’installent à Metz.

De 1946 à 1952, préfiguration et création du CDE sous la direction d’André Clavé. Metz rejoint le Syndicat Intercommunal que forment les trois villes mères d’Alsace (Colmar, Strasbourg et Mulhouse).
Je suis activement les représentations données par la troupe d’André Clavé au Théâtre municipal de Metz (et me passionne pour le théâtre).

Janvier 1953, Michel Saint-Denis succède à André Clavé.

On annonce la création d’une École Supérieure d’Art Dramatique, liée au CDE et dont l’ouverture se fera en septembre. Saint-Denis missionne Hélène Gerber et Daniel Leveugle à charge de repérer des éléments susceptibles d’être intéressés par cette école et de les préparer au concours d’entrée.
(On peut constater que les postulants n’accouraient pas en masse aux frontières des marches de l’Est et que nous sommes loin, très loin, du mouvement d’intérêt qui n’a cessé de s’amplifier.)
Douze élèves seront retenus après leur audition devant Michel Saint-Denis et son corps de professeurs, dont cinq venus avec lui du Young Vic Theater.

Composition du Groupe 1 :

Deux Alsaciennes, deux Alsaciens, un Mosellan, une Mosellane, une Anglaise, un Algérien, une Parisienne, un Parisien, un Suisse Romand, un Tourangeau.

Sept hommes, cinq femmes.

Michel Saint-Denis avait élu domicile à Turckheim, petite ville à quelques kilomètres de Colmar sur la route des vins, célèbre pour ses remparts et son veilleur de nuit; il nous parla des vignerons alsaciens et des rapports ouverts et cordiaux qu’il avait avec la population; sans doute voulait-il nous faire comprendre que là était notre public et notre mission prochaine. Refaisait-il sentimentalement avec nous les chemins qu’il avait parcourus une trentaine d’années auparavant sur les routes de Bourgogne, du côté de Pernand-Vergelesses?

Faire des critiques, c’est prendre des responsabilités. Il faut toucher juste, ramener l’essentiel au coeur d’une vérité cachée qui échappe ou se dévoile; guetter le sensible, l’inexprimé, l’avertissement intuitif: mener la chasse au factice, au surfait, éliminer les scories. «Comment a-t-il répété ?» était la question la plus souvent posée par Saint-Denis aux enseignants. La conduite des répétitions, les différentes phases du travail sur le jeu, la façon dont étaient pris les exercices techniques, ou la danse, ou l’improvisation, l’intéressaient tout autant que la présentation.

Ces quelques heures où nous rentrions en conclave pour faire le point avec nos enseignants demeurent pour moi un des moments forts de cette formation d’acteur. J’en garde l’image d’une ellipse insulaire, d’un champ clos où de part et d’autre allait circuler tout un vocabulaire inconnu, et que nous allions nous approprier au fur et à mesure que nous avancions dans notre travail, tout cela dans un climat de fermeté et d’indulgence, d’humour et de sérieux, d’écoute et de confiance. Sans approximation et sans truchement.

Comme l’aurait fait une cartomancienne, Saint-Denis disposait sur la table un nombre impressionnant de petits bouts de papier, annotés d’observations qu’il nous distillait à chacun, goutte à goutte, récompensant d’un regard amusé ou sérieux, qui nous allait jusqu’à l’os, le puzzle de sa critique.

«Il faut partir de ce que l’on a. Tu as fait un noeud gordien et tu passes ton temps à vouloir le démêler… Ne dénaturez pas le personnage par une brillance excessive. Il faut simplifier. Sachez nourrir une idée qui grandit. Portez les facultés du dresseur au niveau où sont arrivés les chiens … Pas de pittoresque.»

Il m’arrive de penser à lui comme à un vieux coach, à ces entraîneurs du coin des rings, vivant intensément le combat livré par leur poulain, expert en esquives, en coups donnés et en coups reçus. Il était né pour être pédagogue.

Contraint par raison de santé, Michel SaintDenis quittait au printemps 1957 la direction du Centre Dramatique de l’Est.

Hubert Gignoux lui succédait. Ces changements de direction sont souvent des moments difficiles dans l’histoire de l’existence de nos maisons. Pour dédramatiser ce passage délicat, j’emprunte ici une approche biblique en disant qu’Hubert Gignoux sut nous faire comprendre très tôt, par son attitude, ses propos et ses décisions, qu’il n’était pas venu pour transformer la loi, mais pour la compléter, et qu’il ne souhaitait, par son expérience de sept années à la tête du Centre Dramatique de l’Ouest, qu’enrichir l’héritage laissé par Saint-Denis.
Tout comme pour ce dernier, comment parler de « patrons» qui ne se racontaient pas, ou si peu, dont la discrétion ne répondait pas à notre muette curiosité; et pourtant quel lien mystérieux se tissait entre eux et nous, au-delà de la quotidienneté, des appréciations ou critiques de nos entourages, voire la satisfaction de notre propre estime, pour ne conserver en définitive que l’écoute de leur jugement. C’était tout simplement, je le crois, la confiance rendue à la confiance donnée.

Il y avait du monacal chez Hubert Gignoux. La première règle fut celle de la ponctualité et tout le monde se mit à l’heure de l’exactitude.

Je ne l’ai toujours vu qu’habillé sobrement, mais du bon faiseur, la veste brune à petits carreaux, à chevrons ou mouchetée, le pantalon beige ou marron, le polo assorti. Beaucoup d’austérité aussi dans son bureau qui faisait peu de place aux souvenirs, une photo de Jouvet, je crois, à moins qu’elle ne fut de Chancerel, une affiche des Marionnettes du Studio des Champs-Élysées, une des Mariés de la TOur Eiffel de Cocteau, en hommage aux Comédiens-Routiers. Rien de laborieux dans son aspect, l’intelligence affleurait de partout, sur son visage, dans son discours clair et dépouillé et comme Saint-Denis il était un homme de conviction.
Notre collaboration allait durer quatorze années, jusqu’à son départ en 1971. Des rôles confiés, tous plus beaux les uns que les autres; de l’enseignement dispensé à mon tour aux élèves de l’École; de l’exemplaire et talentueux compagnonnage de la troupe permanente et de ceux qui venaient s’y joindre; de l’attentive et précieuse compétence des équipes administratives et techniques; du public nombreux, chaleureux, souvent enthousiaste; des invitations à l’étranger, des incursions parisiennes élogieusement saluées par la critique; ce qui me reste le plus profondément attaché, le plus singulier, le plus sensible à ma mémoire remuée par cette bouffée de souvenirs, ce sont les tournées « Tréteaux». Jamais je n’ai approché d’aussi près le sens profond de l’utilité de mon métier. Toutes nos actions d’une journée convergeaient vers la représentation du soir, comme un besoin ultime, celle de la rencontre et du partage avec le public.
André Pommarat