Biographie de Michel Saint-Denis par Rosine Gautier

Biographie de Michel Saint-Denis établie par Rosine Gautier, sa belle-fille, à partir de différents travaux et documents familiaux.


Michel Saint-Denis

Né à Beauvais le 13 septembre 1897, fils de Marguerite Copeau (sœur de Jacques) et de Charles Saint-Denis, il fait ses études secondaires à Paris et à Versailles.

Mobilisé dans les Chasseurs lors de la Première Guerre mondiale, il est cité à l’ordre de la Division, participe à l’Armée d’Orient et à l’occupation de la Bessarabie.

En 1920, il rejoint Jacques Copeau comme secrétaire général du Vieux Colombier, y assurant également les fonctions de régisseur, directeur de scène et acteur.

De 1925 à 1929, il fait partie de la compagnie des jeunes comédiens emmenés en Bourgogne (à Morteuil, puis à Pernand Vergelesses) par Jacques Copeau, Les Copiaus ; acteur et metteur en scène de cette troupe qui joue dans les villages et dans les villes de Bourgogne, il fait ses débuts d’auteur avec deux pièces écrites en collaboration avec Jean Villard : « La Danse de la Vigne et des Champs » et « L’Araignée et les Jeunes Gens ou la Tragédie imaginaire ». Il crée ses premiers personnages fixes, porteurs de masques de la « comédie nouvelle », comme Oscar Knie, la Célestine… Jean Dasté étant César. La troupe part en tournée en Suisse, en Belgique, en Allemagne et en Angleterre.

En 1930, après que Copeau ait dissous Les Copiaus , il prend la direction de ceux qui reviennent sur Paris pour les regrouper dans la Compagnie des Quinze après un bref séjour au Théâtre ambulant de la petite scène de Xavier de Courville.

Il rassemble son équipe dans les locaux de Ville d’Avray (L’Arche) et s’installe au Vieux Colombier dont il fait réaménager la scène par André Barsacq. Il donne également des représentations à l’Atelier, au Studio des Champs Elysées.

Emblème de la Compagnie des Quinze

Il connaît le succès avec « Noé » (Pierre Fresnay dans le rôle titre »), « Le Viol de Lucrèce », « La Bataille de la Marne », « Loire », « Vénus et Adonis », « Don Juan » (avec Pierre Fresnay à nouveau) d’André Obey, « La Mauvaise Conduite » de Jean Variot, « La Vie en rose » d’Armand Salacrou, « Les Lanceurs de graines » de Jean Giono, « La Paysanne de Vallecas » d’Henri Gheon.

Les Quinze partent en tournée en Suisse, en Belgique,en Espagne, en Italie, en Hollande et surtout en Angleterre où ils reçoivent le meilleur accueil (Arts Theatre, Ambassador’s, New Theatre) invités quatre saisons de suite.

Après trois saisons de plus en plus difficiles sur le plan financier, la compagnie, encouragée par Jean Giono et Darius Milhaud s’installe à Beaumanoir, près d’Aix-en-Provence, mais Michel Saint-Denis doit se résigner à la dissoudre en 1934.

Ses contacts en Angleterre avec John Gielgud, Tyrone Guthrie, les Motley (Sophie Devine, Percy Harris, Elizabeth Montgomery) et les amitiés profondes déjà nouées avec George Devine et Marius Goring le poussent à s’installer alors à Londres, où il fonde le London Theatre Studio (installé en janvier 1936 dans une chapelle désaffectée d’Islington rénovée par Marcel Breuer, élève de Gropius) qui a pour ambition d’être à la fois une compagnie permanente et une école formant acteurs, metteurs en scène, régisseurs, décorateurs. Participant au renouveau du monde théâtral anglo – saxon par son enseignement, qui le rend célèbre, il a pour élèves et collaborateurs Alec Guiness, Laurence Olivier, Peter Ustinov. Il met en scène notamment, en anglais : « Macbeth » (avec une musique de Darius Milhaud,) puis « La Tempête » et « La Nuit des Rois » de Shakespeare, « Les Trois Sœurs » de Tchekov, « La Sorcière d’Edmonton »de Dekker et Rowley, « Le Mariage de sang » de Garcia Lorca « The White Guard » de Boulgakov mais aussi Obey et Giono. Outre John Gielgud, Laurence Olivier et Peter Ustinov, l’école réunit Peggy Ashcroft, Edith Evans, Alec Guinness, Michael Redgrave, George Devine, Marius Goring, Glenn Byam Shaw, Vera Poliakoff, Chattie Salaman,…

La guerre éclate, le LTS est dissous ; Michel Saint-Denis rentre en France, mobilisé dans l’Infanterie Coloniale comme officier de liaison auprès du grand Quartier Général anglais.


En juin 1940, lors de la retraite de Dunkerque, il est évacué à Londres ; il y est nommé directeur des services français de la B.B.C.. Sous le nom de Jacques Duchesne , en souvenir du Père Duchesne du temps de la Révolution française, il anime la chronique quotidienne « Les Français parlent aux Français », aux côtés de Pierre Bourdan, Jean Marin, Jean Oberlé, Pierre Dac, Maurice Schumann de 1940 à 1944. Pierre Lefévre, jeune élève du LTS, fait aussi partie de l’équipe. L’objectif est bien défini : soutenir le moral des Français, s’élever contre la propagande allemande et informer les compatriotes. Les émissions hebdomadaires comme « La Discussion des Trois amis » ou « La Petite Académie » recueillent un vif succès,se distinguant par leur créativité. Les émissions françaises du temps de guerre se poursuivent à la BBC jusqu’au 22 novembre 1944. Après la guerre, accueilli en héro avec ses camarades,il est décoré dans plusieurs pays : Chevalier de la Légion d’honneur, Croix de guerre (1914-1918 et 1939-1945), Officier de la Résistance Française, Commandeur de l’Empire britannique, Chevalier de l’Ordre de Léopold. De retour à Paris il fonde le service anglais de radiodiffusion française.

Laurence Olivier dans Oedipus Rex

En 1945, sollicité par ses amis anglais, il part à Londres mettre en scène pour l’Old Vic Theatre « Œdipe Roi » de Sophocle magistralement interprété par Laurence Olivier. Sur l’invitation de celui-ci, Michel Saint-Denis développe avec Glen Byam Shaw et George Devine le projet de l’Old Vic Centre dont il est le directeur général (ouverture en janvier 1947). A la base de la structure : l’Old Vic School (direction Glen Byam Shaw) qui forme pendant trois ans à toutes les branches du théâtre, puis le Young Vic, (direction George Devine) troupe qui tourne dans toute la Grande Bretagne avec un répertoire destiné à la jeunesse, enfin, « le théâtre expérimental », laboratoire de recherche. Succès immédiat de l’école, à laquelle collabore à nouveau Pierre Lefèvre. Diverses mises en scène sont réalisées : « Notre Petite Ville » de Thornton Wilder, « Un Mois à la Campagne » de Tourgueniev, « Le Roi Jean » de Shakespeare, « Electre » d’Euripide. Le Young Vic tourne dans toute l’Angleterre s’illustrant brillamment par « Le Roi-Cerf » de Carlos Gozzi, « Shoemaker’s holiday » de Dekker,une reprise de « Noé », « The Black Arrow » de R.L. Stevenson adaptée par John Blatchley, mise en scène par Michel Saint-Denis. Il prépare avec Pierre Sonrel la rénovation des locaux de Waterloo Road de l’Old Vic Theatre bombardés pendant la guerre.

En butte à des intrigues, des hostilités et à l’insuffisance du financement, il démissionne en mai 1951, (l’Old Vic Theatre Center disparaît en juillet 1952), mais cette expérience, qui eut une grande influence sur le théâtre britannique et nord américain, lui aura permis de mettre à l’épreuve des principes et un enseignement qu’il va appliquer au Centre Dramatique de l’Est, à Strasbourg.

En janvier 1952, il est invité par le Gouvernement canadien pour étudier la fondation d’un centre d’activité théâtrale et participer au jury du Dominion Drama Festival.


En janvier 1953, sollicité par Jeanne Laurent, sous-directrice des Arts du Spectacle et de la Musique, à l’origine de la décentralisation théâtrale et de la création de plusieurs centres dramatiques en province, il prend la tête du Centre dramatique de l’Est (actuellement Théâtre National de Strasbourg), succédant à André Clavé, d’abord à Colmar puis à Strasbourg (en 1955) pour y ouvrir le Théâtre de la Comédie et l’Ecole Supérieure d’Art Dramatique.Il fait venir de Londres ses anciens collaborateurs de l’Old Vic :Suria Magito, Jani Strasser, Barbara Goodwin, John Blatchley, et Pierre Lefèvre.

Le pays noir de J.C. Marrey

L’Ecole « supérieure »,nationale, gratuite et « professionnelle » forme des gens de théâtre complets ; à la fin de leur cycle de formation, en mars 1956, les premiers groupes d’élèves, toutes sections confondues, affrontent le public, en tournant dans des conditions très rudes dans des endroits où, souvent, il n’y avait jamais eu de théâtre.Ce sont les Cadets du CDE (qui deviendront Les Tréteaux avec Hubert Gignoux). Un spectacle « composé » est au programme : « Le Mariage Forcé « de Molière suivi d’une pièce écrite pour la circonstance « Le Miroir aux Mensonges » de Jean-Claude Marrey. Puis, l’année suivante : « La Belle de Haguenau » de Jean Variot, « Le Pays noir » de Jean-Claude Marrey et « Divertissement » (chants et danses du XIXe siècle mis en scène par Suria Magito et Jani Strasser); la troisième tournée propose, sur un texte de Jean-Claude Marrey, « Neuf images de Molière ».

La troupe permanente du Centre réunit Daniel Leveugle, André Roos, Maître Ducasse, Abd El Kader Farrahd … des comédiens comme Annie Cariel, Jacques Seiler, Malka Ribovska, Delphine Seyrig, Pascale de Boysson… puis les élèves André Pomorat, Claude Petitpierre … Lors des quatre saisons qui se sont écoulées de 1953 à 1957, le répertoire a proposé « Le Songe d’une Nuit d’été », « Roméo et Juliette », « La Nuit des Rois » de Shakespeare, « Le Menteur » de Corneille, « La Jalousie du Barbouillé « « Le Misanthrope », « Les Fourberies de Scapin » de Molière, « La Surprise de l’Amour » de Marivaux, « Un Caprice » de Musset, une adaptation de « l’Alcade de Zalamea » de Calderon, « La Mouette » de Tchekov, mais aussi « Un Imbécile » de Pirandello, « Le Disciple du Diable » de George Bernard Shaw, « Saint-Just » de Jean-Claude Brisville, « Tessa » de Jean Giraudoux, « Une Femme qui avait le cœur trop petit » de Crommelynck, « Antigone » de Jean Cocteau, « La Sauvage » de Jean Anouilh, « Le Voleur d’enfants » de Jules Supervielle, « Les Justes » de Camus. Certaines mises en scènes sont réalisées par Michel Saint-Denis (Musset, Giraudoux, Crommelynck, Anouilh, Supervielle, Marrey, « Roméo et Juliette »,).

Là encore, Saint-Denis entreprend la construction d’un théâtre, dans la capitale régionale, de nouveau avec Pierre Sonrel assisté de Camille Demangeat (le premier vrai théâtre construit hors de Paris depuis la guerre de 1914) : le Théâtre Municipal de Comédie de Strasbourg qui sera inauguré en octobre 1957.

En 1957, pour des raisons de santé, Michel Saint-Denis laisse la direction du Centre à Hubert Gignoux

Un temps conseiller artistique auprès de l’administrateur de la Comédie Française, il devient Inspecteur Général des Spectacles collaborant activement à la rédaction d’un projet pour le IVe Plan sous la direction de Pierre Moinot (projet d’un « centre national de formation des animateur culturels » qui ne fut pas retenu).


En 1958-1959, appelé comme conseiller artistique du Théâtre national du Canada, à Montréal, il participe à la conception de l’Ecole Nationale de Théâtre du Canada (inaugurée à Montréal en 1960). Dès cette époque, Michel Saint-Denis collabore également à la création de la Juilliard Drama Division au cœur du Lincoln Center de New York (elle ouvrira en septembre 1968, ne s’installant que l’année suivante dans ses locaux du Lincoln Center) ; directeur conseil de l’école, il donne des conférences (elles seront publiées dans « Theatre : The Rediscovery of style » en 1960) et entreprend l’écriture de « Training for the Theatre » à destination des élèves (qui ne sera publié qu’en 1982).

En 1960, il retourne à Londres mettre en scène l’opéra-oratorio « Œdipus Rex » de Stravinsky pour la Sadler’s Wells Opera Company ;

En 1961,élu membre de l’Institut International du Théâtre,il participe jusqu’en 1967 à la revue World Theatre, à des conférences, des lectures et à des symposium de formation d’acteur,dans différents pays. En 1962, il est consulté pour la programmation de l’Institut National Supérieur des Arts du Spectacle de Bruxelles.

Papier à en-tête de la R.S.C.

A la même époque, il accepte, pour trois ans, la codirection de la Royal Shakespeare Company , avec Peter Brook et Peter Hall, ce dernier ayant été impressionné par la mise en scène de « La Cerisaie « de Tchekov ; il y crée et dirige un studio de formation et de recherche dramatique ; en 1965, il réalise sa dernière mise en scène : « Maître Puntila et son valet Matti » de Bertold brecht.

Il est à nouveau sollicité par le président de la Julliard qui lui propose la direction de la Drama Division pour son ouverture, qu’il refuse, considérant que cela revient à un Américain mais est tenté par la fonction de codirecteur. La maladie contrecarre cette proposition et il ne pourra pas assister à l’inauguration de la Julliard School dans le Lincoln Center en septembre 1969.

Michel Saint-Denis meurt à Londres le 31 juillet 1971. Sa mort donne lieu à d’importants hommages, tout particulièrement dans le monde anglo-saxon.